Les croisés du Capital

Blog du dessinateur breton Fañch Ar Ruz

Les croisés du Capital

Terrassé par une crise économique et sociale d’une violence inédite, harassé par huit années de guerre conduite par l’ultracon George W Bush contre les « forces du mal arabo-musulmanes », effrayé par une menace terroriste qui, d’après nos dirigeants, pouvait frapper n’importe qui, n’importe où et n’importe quand, angoissé par une crise climatique qu’on entrevoyait comme une sorte d’apocalypse à retardement, le monde entier était mûr pour prendre des vessies pour des lanternes. C’est ainsi que dans ces temps crépusculaires, l’arrivée aux commandes de la première puissance mondiale d’un homme noir, modéré, jeune, charismatique, scandant des slogans positifs et volontaristes, fut vécu par la foule des désabusés comme la venue du messie sur la Terre. Moins d’un an après l’élection de Barack Obama, le phénomène « j’ai rien foutu mais je suis quand même un super-héros », franchissait un nouveau cap.

Le président américain reçut le prix Nobel de la paix. Il arrivait assez fréquemment que des tocards raflent la prestigieuse distinction en faisant semblant d’être de bonne volonté pendant un moment. Shimon Perez et Yitzhak Rabin furent de ceux là. Obama, pour sa part, se révéla une fois de plus à la hauteur de sa légende. Récompensé sans avoir rien changé à l’état de guerre déplorable installé par son prédécesseur, il allait rapidement prouver qu’il était capable de se dépasser pour aller toujours plus loin sur le chemin de la paix. A peine distingué, il décida l’envoi de 30 000 soldats supplémentaires en Afghanistan. En août 2010, il annonça la fin de l’occupation militaire américaine en Irak. Un retrait original, puisque 50 000 soldats américains restèrent sur place, officiellement en tant que « conseillers » de l’armée irakienne. Pratique.
Ils avaient vraiment raison tous ces moutons qui bêlaient d’allégresse le jour de son élection. Obama, changeait vraiment le monde… en laissant s’enliser des guerres meurtrières, en gardant ouverte la salle de torture de Guantanamo, en se couchant comme une serpillère devant Israël. L’Establishment américain pouvait être fier de lui. Il était parvenu à faire valider sa politique de domination par une opinion mondiale bernée. Ce gentil garçon de couleur au patronyme « arabo–musulman », excellant dans l’art des discours dégoulinant de tolérance et de réconciliation était le parfait client pour mener à bien une mission d’apaisement. Continuer à jouer les cow-boys plus longtemps devenait compliqué. Le monde ruminait sa haine. Les États-Unis risquaient de perdre des plumes et du pouvoir. Il était temps de passer en mode « impérialisme doucereux ». Obama était l’assurance la plus sûre de pouvoir continuer à profiter tranquillement des retombées juteuses de la sanglante croisade lancée par Bush près de dix ans plus tôt, tout en faisant croire que les temps avaient changé.

Choc des civilisations et guerre permanente

Après avoir triomphé du « grand Satan » soviétique, l’heure était venue pour l’aigle américain de se refaire une santé. La fin de l’histoire, c’était bien gentil. Ça faisait peut-être jouir les propagandistes occidentaux béats, genre BHL, mais ça ne nourrissait pas une super puissance mondiale. Continuer à incarner le monde libre et à entretenir une clientèle de médiocres petites démocraties libérales, exigeait un « nouveau monde pas libre » à combattre et à mettre à genoux. Pour pouvoir nourrir un complexe militaro-industriel tentaculaire et vorace, contrôler des nouvelles ressources stratégiques et se prémunir contre l’émergence de nouvelles puissances en Asie, il fallait mener des guerres. Les États-Unis avaient déniché le terrain de jeu idéal pour concrétiser leur folie des grandeurs : le Moyen-Orient et l’Asie Centrale. Bush père avait tâté le terrain dès 1991 en mettant l’Irak de Saddam Hussein à genoux, sans toutefois porter le coup de grâce. Pendant dix ans, les occidentaux préférèrent à la guerre une stratégie « humanitaire » : menacer d’affamer le pays pour le dépouiller de son pétrole.
Ce harcèlement diplomatique était cependant trop timoré pour les appétits de l’impérialisme américain. Pour se servir allégrement, il fallait y aller franco. Mais les bonnes manières occidentales réclamaient que l’on se justifie moralement pour pouvoir se comporter en brute sanguinaire en toute légitimité. « L’arabo-musulman » détrôna le communiste comme ennemi héréditaire de la liberté et de la démocratie. La théorie du « choc des civilisations », pondue par un vieux professeur conservateur dans un bouquin de plus de cinq cent pages, cimenta le cadre idéologique de ce nouvel affrontement du bien contre le mal : le monde était divisé en grandes civilisations dont les valeurs et les intérêts étaient inconciliables. La culture et les religions cristallisaient ces antagonismes. Pour aller à l’essentiel, la diplomatie américaine, aidée par les grands médias audiovisuels et les clubs de réflexions ultra-conservateurs, simplifièrent le schéma : la grande bataille de notre temps opposait l’occident libre, démocratique et chrétien au monde arabo-musulman obscurantiste, fanatique et autoritaire, qui rêvait de conquérir le monde entier pour imposer la charia et instaurer une République islamique universelle.
La preuve que la menace était sérieuse ? Ces terroristes qui se faufilaient parmi nous pour nous réduire en bouillie au moment où l’on s’y attendait le moins, ces fidèles qui ne se contentaient plus de prier dans des caves humides et sans fenêtres mais réclamaient maintenant la construction de mosquées, de lieux de culte décents, et enfin, tous ces fous qui nous narguaient avec leurs barbes hirsutes, leurs djellabas démoniaques, leurs voiles sataniques et qui voulaient nous forcer à dire adieu au cochon et à l’alcool. Les salauds ! S’il subsistait un doute sur la nature monstrueuse de l’ennemi, il fut dissipé avec la fumée qui recouvrait les ruines des twin towers et les cadavres de quelques banquiers un peu trop matinaux. Du jour au lendemain, nous étions tous devenus des américains. Forcés à jouer les pleureuses grecques en agitant fébrilement la bannière étoilée. Contraints à faire des minutes de silence tous les quarts d’heure. Condamnés à voir les tours s’effondrer en boucle jusqu’à la crise d’épilepsie. Le mal possédait désormais une organisation tentaculaire qui agissait partout et nulle part à la fois : Al-Qaida. Il avait un nom : Ben Laden. Il n’y avait pas d’hésitation possible. Tout occidental qui se respectait se devait de soutenir la juste et sainte croisade que Georges Bush Junior s’apprêtait à mener pour sauver la civilisation. Si vous n’étiez pas avec lui, vous étiez contre lui. Un traître. 2001. Direction l’Afghanistan pour botter le cul des talibans et tirer Ben Laden par la barbe afin qu’il expie ses péchés devant les fiers défenseurs de la liberté. Pas question de jouer les tièdes et les rabat-joie en faisant remarquer que les talibans avaient été élevés au biberon par les américains pour faire la nique aux soviétiques, que des membres des familles Ben Laden et Bush se côtoyaient chaleureusement dans des conseils d’administration de grandes multinationales et que, jusqu’à présent, l’Occident, si démocratique, s’était foutu comme de sa première vérole du sort lamentable des femmes afghanes. L’Afghanistan occupé, il aurait été dommage de s’arrêter en si bon chemin.

Bush et Ben Laden fetent le 11 septembre


En 2003, L’Irak fut à nouveau dans le collimateur de l’oncle Sam qui décréta que Saddam était comme cul et chemise avec les islamistes et qu’il projetait d’attaquer les États-Unis avec de terrifiantes armes de destruction massive. On pouvait compter sur le staff talentueux du petit Bush pour rendre crédible ce qui pour tout esprit alerte était loin d’être évident. Pour convaincre l’ONU du bien-fondé d’une expédition punitive contre l’Irak, Colin Powel se surpassa. Planqué dans les toilettes du siège de l’Organisation des nations unies, il pissa dans une fiole sans en mettre une seule goute à côté. Il courut ensuite exhiber le flacon devant le nez de l’Assemblée générale en présentant son contenu comme un échantillon des terrifiants arsenaux bactériologiques irakiens. Les marines américains allaient vraiment en chier, confrontés à des hordes de fidèles de Saddam prêts à leur uriner sur les grolles pour les mettre en déroute ! Se torchant avec les doutes de l’ONU, pas vraiment convaincue par la pisse de Powel, Bush, entiché de ces fidèles alliés, lança son armada aux miches de Saddam. L’affaire fut vite réglée.
En un mois Bagdad était conquise et des milliers d’irakiens avaient fait l’heureuse expérience de la mort par guerre propre.

Justice expeditive de Bush


En quelques années, les Américains s’étaient rendus maîtres du gaz naturel d’Asie centrale et du pétrole irakien. Ils avaient dégagé la voie à un business des plus lucratifs. Après avoir tout défoncé sur leur passage, ils rameutaient une horde d’investisseurs occidentaux qui se proposait gracieusement de tout reconstruire. Le jeu en valait la chandelle : un marché de plusieurs milliards d’euros.
Petit bonus, Bush rendait un service plus politique au capitalisme mondialisé. Il l’avait doté d’un mécanisme d’autodéfense et d’autoconservation redoutable : la stratégie de la guerre permanente. Le principe en était d’une simplicité désarmante : maintenir le monde dans la haine et la peur d’un ennemi commun, pour que les dominés n’aient pas l’idée de s’interroger sur les causes réelles de leur situation ni de se mobiliser pour changer leur condition. Chose très pratique, le nouvel ennemi de l’occident était affublé de deux visages : les nations arabo-musulmanes hostiles et arriérées et les terroristes avérés ou potentiels qui frappaient au cœur même de la civilisation. La ligne de front était donc double, elle clivait les relations internationales et déchirait les sociétés occidentales. L’opinion mondiale était maintenue en alerte par le spectacle des opérations militaires retransmis en direct par toutes les grandes chaînes de télévision, par les annonces des nouvelles menaces et les prévisions des guerres à venir. « Après L’Irak et ses armes bactériologiques, bientôt l’Iran et son programme nucléaire ».
Simultanément, les puissants pouvaient diviser ceux qu’ils exploitaient, rogner les libertés civiques et criminaliser toute forme de subversion en brandissant la menace intérieure du terrorisme et de l’islamisme. Le Patriot Act et les lois sécuritaires sarkozystes, entre autres, ont fait partie de l’attirail de cette guerre permanente qui s’auto-alimente. Les croisades impérialistes, la répression policière et le terrorisme islamiste incarnent les différentes facettes d’une machinerie morbide qui régénère continuellement le capitalisme avec la sueur et le sang des damnés de la terre.

Les beautés de la démocratie d’exportation

Ne soyons pas de mauvaise foi. Tout ce déluge de feu et de violence n’est pas vain. Il sert une juste cause, une finalité supérieure : permettre que la démocratie puisse enfin couvrir de sa douce et bienfaisante lumière les innombrables contrées encore maintenues dans l’obscurité et la barbarie. Rendons grâce aux États-Unis. Cette grande nation a fait de ce début de millénaire une ère nouvelle pétrie d’amour, de compassion, de tolérance et de liberté. Que d’amour irradiait du léger et harmonieux mouvement de pendule de la corde qui soutenait le corps de Saddam Hussein fraîchement pendu et livré en pâture à des millions de téléspectateurs ! Que de tolérance dans les gestes bienveillants des soldats américains qui brisent les âmes et fouillent la chair des prisonniers irakiens avec l’accord de leur État-major !
Et toute cette liberté qui inonde les joyeux chanceux de Guantanamo pour qui l’Oncle Sam va jusqu’à défier les règles élémentaires de la justice pour leur payer des vacances gratis dans les Caraïbes ! On en chialerait un coup tellement c’est beau. Et on comprend pourquoi Obama, le nouveau phare de justice et de démocratie que les États-Unis ont offert au monde, veille avec autant d’acharnement sur tous ces bienfaits de la civilisation.

CIA et AL KAIDA parlent des revolutions arabes


Texte : Munin
Dessins : Fañch Ar Ruz
Sous licence creative commons BY-NC-ND

Par Fañch Ar Ruz, dimanche 5 février 2012 à 14:22

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