Si on y regarde de plus près, on frôle ici la vérité. L’État d’Israël et ses copains étasuniens et européens confectionnent de jolies histoires rassurantes que l’opinion publique occidentale gobe cul sec ou fait semblant d’avaler avec une petite grimace de dégoût tout en continuant à plus ou moins fermer sa gueule. Il y aurait de quoi ricaner de toute cette bêtise organisée et lâchement consentie si depuis plus de dix années, celle-ci n’avait pas contribué à entretenir le cauchemar vécu par les palestiniens aussi sûrement qu’une balle dans la tête d’un gamin ou qu’une maison rasée par un bulldozer. Cette crédulité injectée et absorbée à haute dose est l’anesthésiant qui empêche tout grand mouvement international de protestation de voir le jour. C’est le feu vert qui permet à l’État israélien de continuer tranquillement sa petite ballade meurtrière de Jenine à la bande de Gaza en passant par le Liban, tout en se payant le luxe de foutre le mot « paix » à toutes les sauces. Tsahal fait un peu penser aux Martiens de Tim Burton qui s’appliquent consciencieusement à dégommer tout le monde au pistolet laser tout en diffusant des bandes sonores qui répètent en boucle : « Ne courez pas nous sommes vos amis ! ».
On ne perd donc pas son temps à tenter de disséquer les quelques poncifs qui depuis 10 ans servent à travestir une sanglante agression coloniale en innocente opération de légitime défense.
Oslo ou comment occuper en paix
Ce qui sépare la période d’Oslo et l’apocalypse de cette dernière décennie, c’est un peu ce qui distingue une sodomie avec vaseline d’une sodomie au verre pilé : le style.
En fait de paix, Oslo fut une tentative pour soumettre les palestiniens par la voie diplomatique et politique. Devant les caméras et sur les parterres de Washington : les grands serments, la main posée sur le cœur. à l’ombre du quotidien : une entreprise systématique pour empêcher la naissance d’un État palestinien digne de ce nom. Vol de terres sans précédent, installation de barrages militaires empêchant les palestiniens de circuler librement, découpage de Gaza et de la Cisjordanie en plusieurs zones pour briser toute continuité territoriale, transformation des leaders palestiniens en force de police au service de l’occupant pour anéantir la crédibilité du mouvement de libération nationale…
Ne voyant pas revenir un seul réfugié, partir un seul soldat ni disparaître une seule colonie, les palestiniens se sont lassés d’être pris à la fois pour des cons et des paillassons. La colère s’est mise à gronder.
Il n’en fallait pas plus à l’État israélien pour jouer les vierges effarouchées et se façonner un rôle de victime en deux actes.
Acte I : Camp David, été 2000. Les palestiniens sont attirés dans des négociations finales bidons. On veut leur échanger des bouts de désert pourri contre des terres fertiles de Cisjordanie. Le droit au retour des réfugiés est liquidé. Jérusalem Est restera israélienne. Américains et israéliens ont vendu Camp David aux médias et à l’opinion mondiale comme la proposition la plus audacieuse jamais faite aux palestiniens. Une chance historique à ne pas gâcher. Personne n’a pris la peine de vérifier le contenu réel de cette « offre généreuse ». à quoi bon ?
Les palestiniens refusent mais sont incapables de parer le rouleau compresseur politico-médiatique qui les accable. Aux yeux du monde entier ils passent pour des ingrats qui ne veulent pas vraiment la paix.
Acte II : Jérusalem, septembre 2000. Les palestiniens sont à cran mais restent calmes. Il fallait les pousser à la faute. Que faire ? Organiser un défilé de stripteaseuses ou un lâché de cochons sur l’Esplanade des Mosquées ? Non ! Mieux ! Y faire parader Ariel Sharon et ses gorilles en armes. Comme ça, les palestiniens auront droit à une provocation « deux en un » : le boucher et le porc dans le même emballage. Cette fois la manœuvre fonctionne. Les territoires occupés s’embrasent. C’est la deuxième Intifada.
Après 8 ans d’illusion médiatique, très peu de gens saisirent vraiment les causes de cette révolte palestinienne. Israël pouvait ranger la vaseline et sortir le gravier de 12. L’hypocrisie diplomatique s’éclipsait devant le terrorisme d’État.
La science de la symétrie bancale
La violence militaire israélienne fait parfois sourciller l’opinion publique occidentale. Mais celle-ci trouve facilement des chemins vers le repos de son âme. Pour les adeptes de la « Nature Humaine », c’est la « Violence éternelle » qui est à l’œuvre dans ce conflit, la même vilaine fille qui a eu la peau de la « petite fille afghane » et du « petit portoricain » de la chanson de Renaud.
à part pleurer un peu et renvoyer les deux camps dos à dos, il n’y aurait rien à faire pour ceux qui ont la tête niquée par la théorie du choc des civilisations et voient partout de méchants terroristes arabo-islamistes partir à l’assaut de l’Occident, Israël ne fait rien de mal, bien au contraire, il est le bouclier de la civilisation face à la barbarie. Ces deux formes de cécité permettent de balayer d’un revers de main dix années de terrorisme d’État. Car comment nommer autrement une chaîne d’évènements au fil de laquelle s’égrainent le siège et le pilonnage du Quartier Général de Yasser Arafat, les massacres de Jenine et de Gaza où des civils sont ensevelis vivants sous les gravas de leurs propre maisons, la mise en place du blocus imposé à la bande de Gaza, la construction d’un mur long de plusieurs centaines de kilomètres bouclant la population palestinienne dans des prisons géantes à ciel ouvert, la guerre contre le Liban, ou l’arraisonnement meurtrier de bateaux remplis de pacifistes ? Et encore, cette liste ne comprend-elle pas les humiliations perpétuelles, les arrestations et les assassinats arbitraires, les couvre-feux, la colonisation de plus en plus prédatrice, tous ces actes de violence quotidienne, devenus trop banals pour subjuguer la presse internationale.
à ceux qui invoqueront les pauvres roquettes artisanales plus proches du pétard de quatorze juillet que de l’arme de destruction massive, ou les attentats suicides, qu’aucun esprit sain n’oserait justifier, il sera demandé de nous rappeler la différence entre une cause et une conséquence, entre un sentiment de peur face une menace aussi diffuse qu’intermittente et une situation de terreur perpétuelle qui réduit tout un peuple à lutter pour sa survie. Dans le cas où cet acte de discernement élémentaire serait au-dessus de leurs forces, ces apôtres de la symétrie des responsabilités, qui malgré tout soignent en permanence leur indulgence vis à vis d’Israël, seront priés d’avoir la décence de fermer définitivement leur gueule.
A la recherche du camp de la paix perdu
Le raisonnement qui renvoie Israël et les palestiniens dos à dos débouche sur une sorte d’humanisme bien-pensant consistant à opérer un tri pour trouver et soutenir « le camp de la paix » : ces âmes pures qui se trouveraient des deux côtés de la barricade, noyés dans la masse fanatisée et inconsciente de leurs compatriotes. Ceux qui tiennent ce discours cherchent au Moyen-Orient des miroirs capables de réfléchir et de renforcer leur vision décontextualisée de la paix réduite à une simple absence de violence. Violence qui semble d’ailleurs largement plus les gêner qu’une injustice qui perdure depuis plus de soixante ans. Peu importe un accord qui maintiendrait tout un peuple dans la soumission. Il faut faire la paix, point final.
Les leçons de l’histoire devraient pourtant rappeler qu’une paix inique prépare les conflits à venir. Très curieuse est cette vision de la paix qui attend la même attitude de la part d’une puissance occupante et d’un peuple occupé. Ce sont encore les mêmes qui guettent le moindre petit signe d’une reprise du processus de paix comme si celui-ci n’était pas mort-né justement parce qu’il avait pour réel objectif de maintenir la domination coloniale de l’État israélien. Ils ont applaudi le retrait de Tsahal de la bande de Gaza sans voir, ou en feignant d’ignorer, que cette opération visait le renforcement de l’emprise israélienne sur la Cisjordanie et la scission du pouvoir politique palestinien. La prise de pouvoir du Hamas à Gaza, fut une aubaine pour Israël. Elle lui donnait une occasion de plus de refuser tout dialogue et lui permettait de tenir son rôle au sein de la grande coalition antiterroriste. Ils sont tombés en pâmoison devant la dernière grande initiative de l’homme qui a reçu le prix Nobel de la paix en l’honneur de son art de faire la guerre avec compassion. à la fin de l’année 2010, Barack Obama a valeureusement arraché un « gel » de la colonisation israélienne à Netanyahu pour une durée de trois mois. Non renouvelable, cet accord ne concernait pas Jérusalem Est. La diplomatie américaine s’est littéralement prostituée pour obtenir ce faux geste de bonne volonté. En échange, elle a promis qu’elle poserait son veto à toute résolution de l’ONU qui reconnaîtrait l’État Palestinien indépendant. Cerise sur le gâteau, elle a renforcé la panoplie de la mort de Tsahal en lui offrant gracieusement vingt avions de chasse dernier cri. Soyons certains qu’à la prochaine agression israélienne contre Gaza, les palestiniens sauront savourer le goût de la paix en se prenant les obus made in USA sur le coin de la mouille.
Ceux qui défendent « la paix » devraient remiser au placard le slogan ridicule sur le « camp de la paix » qui occulte une réalité faite d’oppression et de colonisation tout autant que le discours puéril du style « Palestine vivra, Palestine vaincra !». Ce jappement de roquet ne dit rien de la nature d’une victoire qui permettrait à la Palestine de « vivre ». Il donne de plus l’illusion débile que les faibles gagnent toujours à la fin. Le cours de l’Histoire est pourtant jonché de cadavres de peuples opprimés qui n’ont jamais obtenu justice et ont purement et simplement tiré leur révérence. Les palestiniens pourraient très bien connaître le même sort. Il n’y a qu’un seul moyen d’éviter que se réalise un tel cauchemar : se soulever en masse à leur côté et avec ceux qui en Israël restent lucides dans la tempête, pour s’accrocher coûte que coûte à l’exigence de justice.
Israéliens et palestiniens ne pourront faire la paix et se regarder dans les yeux que lorsqu’ils ne seront plus ni occupants ni occupés. Mais si la création d’un État palestinien viable à l’intérieur des frontières de 1967 est une urgente nécessité, elle ne sera sans doute qu’un premier jalon sur le chemin qui mène à une paix véritable. Solder un conflit déclenché par le colonialisme et attisé par les passions nationalistes demandera une audace titanesque. L’incendie couvera en permanence tant qu’Israël ne renoncera pas au sionisme et n’abandonnera pas sa prétention à être l’État de tous les juifs, pour enfin devenir la république laïque et démocratique de tous les citoyens israéliens.
Dans un territoire aussi exigu, où les populations s’entremêlent de plus en plus, il n’est pas impossible que le respect des droits de chacun, la conciliation des différents attachements historiques, spirituels, symboliques à la Palestine historique et l’accès équitable à la terre et aux ressources, passent par une solution encore plus radicale : la création d’un seul État binational pour les deux peuples.
Texte : Munin Dessins : Fañch Ar Ruz
Sous licence creative commons BY-NC-ND
Par Fañch Ar Ruz, dimanche 18 novembre 2012 à 00:20