jeudi 11 février 2010
jeudi 11 février 2010
Par Fañch Ar Ruz, jeudi 11 février 2010 à 18:29 :: Mécénat populaire :: #450 :: rss
Comment soutenir mon indépendance
Allez, on partage
A une époque où le pouvoir criminalise la grande majorité des citoyen-nes considéré-es comme des « pirates », je refuse d'insulter, à ses côtés, les lecteurs et les lectrices qui utilisent mes dessins pour alimenter leurs blogues, leurs exposés, leurs sites, leurs dossiers, leurs tracts et leurs banderoles !
Dès lors que le dessin est sourcé, qu'il ne génère d'autre profit que celui du partage, où est le vol ? Au nom de quels intérêts devrais-je me battre contre ces nouvelles pratiques sociales (1) que permet internet ? Au nom de « mes » intérêts ou de ceux des intermédiaires traditionnels (Majors, Editeurs, Circuits de distribution ...) qui s'accrochent aux vieux modèles économiques dépassés ?
Quand j'étais môme, j'aimais m'asseoir dans une petite librairie ou dans une grande surface pour lire des BD en entier (ciel un pirate!), je passais des heures à la Bibliothèque Municipale à découvrir des livres dont je ne soupçonnais même pas l'existence (horreur, voleur !); et bien, c'est justement ça qui m'a donné le goût de la lecture, qui m'a fait aimer Bourgeon par exemple, et qui m'a fait acheter plus tard, quand j'en ai eu les moyens, la série complète des « Passagers du vent »... Cet accès gratuit a contribué à forger ma culture personnelle, ainsi qu'il a alimenté mon goût de la lecture et du dessin.
La diffusion à très grande échelle des oeuvres artistiques, si elle bénéficie aux internautes que nous sommes, n'en n'est pas pour autant une malédiction pour les auteurs mais au contraire une chance à saisir ! Un rapport nouveau à (r)établir avec nos lecteurs/trices basé sur d'autres rapports sociaux que le simple rapport marchand. La valeur de ce que nous créons, devenue accessible à toutes et à tous, n'est plus décrétée par des médias de masse formatés, quelques baronnies de vieux dessinateurs fatigués, des diffuseurs, des distributeurs, des marchands mais bien par les lecteurs eux-mêmes. Les oeuvres ne tiennent plus leur valeur de la consommation qui en est faite mais de l'appréciation qu'en font les lecteurs. On comprend immédiatement les résistances hargneuses qu'un tel changement provoque: Effectivement, beaucoup de « produits » culturels actuels se retrouveraient en péril dans une société où l'on achèterait un film, un album en fonction de sa qualité plutôt que du martelage médiatico-publicitaire dont il fait l'objet.
Mais quelle bouffée d'oxygène, et quelle diversité créative cela va engendrer !
C'est en premier lieu aux artistes de prendre position et de choisir leur camp: celui de la marchandisation de l'art dans un système capitaliste castrateur et spoliateur ou celui de l'innovation et du partage dans l'esquisse de ce que sera, peut-être, la société de demain avec de nouveaux rapports sociaux et un art libérés des « lois du Marché ».
Vous n'aurez pas ma liberté de créer
Au-delà du fait que les dessinateurs devraient se reconnecter avec leurs lecteurs, qu'ils sont eux-mêmes des « usagers » du réseau internet (2) et qu'en cessant toute hypocrisie ils éviteraient de virer bredins et schizophrènes; ils ont tout à gagner à supprimer un maximum d'intermédiaires entre eux et leur public pour préserver leur liberté créative et pour certains... leur dignité.
Finis les pathétiques cirages de pompe auprès de « mentors » pour arriver à caser quelques dessins par-ci par-là, plus besoin d'attendre, tremblotant le carton à dessin à la main, qu'un éditeur « avisé » daigne vous éditer et vous diffuser (3), plus de piston, de tristes concessions pour être publiés « à tout prix »; Vous avez, nous avons désormais notre « ligne éditoriale » entre nos mains. N'importe qui peut réaliser son livre, l'éditer soi-même ou le faire éditer par des éditeurs novateurs tels qu' In Libro Veritas, et diffuser son oeuvre dans le monde entier !
Que l'oeuvre rencontre son public ou pas, ça, c'est une autre affaire... mais en tout cas ce n'est plus une question de budget promotionnel réservé à une minorité d'artistes triés sur le volet par les industriels.
Mécénat populaire
Les lecteurs ne sont pas les ennemis des artistes, ils sont nos alliés. J'ai vécu personnellement de mes commandes d'illustrations de 2007 à 2013 sans travail « alimentaire » en guise de filet de sécurité. Soyons honnête, mon engagement politique et ce choix artistique radical m'oblige quand même, depuis 2013, à travailler à temps partiel en plus de mes boulots d'illu's pour faire vivre les miens; il faut payer le prix. Alors, je comprends donc bien l'inquiétude légitime de beaucoup de dessinateurs face à ce bouleversement révolutionnaire. Pour résumer ma position: si une entreprise me contacte pour lui réaliser un dessin afin de vendre une série de tee-shirt, ça ne me paraît pas révoltant d'être rémunéré pour ce travail, mais lorsqu'une personne se fabrique, à titre privé, un tee-shirt personnalisé avec une illustration déjà réalisée par mes soins, je ne lui demande pas de me payer des droits sur l'utilisation faite de mon dessin ! De plus, j'encourage tou-tes mes ami-es dessinateurs-trices à bien lire les différentes licences libres (4); sauf à livrer vos dessins dans le domaine public, le droit moral sur vos oeuvres ne disparaît pas: « The author's moral rights »; vous gardez la liberté que l'un de vos travaux n'apparaisse pas sur tel ou tel site en totale contradiction avec vos convictions et/ou votre philosophie.
C'est un pari audacieux, mais aussi vital et bénéfique que de nous adapter harmonieusement à toutes les nouvelles possibilités de création, de réappropriation collective ou individuelle et de diffusion que nous permet internet. Réfléchissons, expérimentons, cherchons ensemble des solutions d'équilibre entre les intérêts de l'auteur (qui a besoin de bouffer comme tout le monde) et ceux de la société.
Pour ma part, même si j'y travaille ardemment, je n'attends pas le Grand Soir pour expérimenter dès maintenant un fonctionnement différent, plus basé sur le don que sur le rapport marchand; j'ai décidé de mettre en pratique ce que j'appelle ici un « Mécénat populaire ».
J'emploie le terme de Mécénat populaire sciemment, en forme de clin d'oeil au concept de Mécénat global (5) développé par Francis Muguet, qui concerne plus globalement le financement général de tous les artistes présents sur la Toile. Mais le principe est le même: aux internautes d'avoir la liberté de soutenir les artistes qui leur plaisent au lieu d'être rackettés par des organismes qui redistribuent l'argent aux plus nantis d'entre eux après s'être servi !
Je n'ai pas la prétention d'abolir le capitalisme d'un coup de baguette magique ni d'imposer le Mécénat Global avec mon blog et mes petits bras musclés... il est évident que ça ne peut être que le fruit d'une réflexion (en cours) et d'une action politique et collective (à venir). Mais je peux, à mon niveau, et même si c'est de la « bricole », contribuer à bousculer les vieux modèles d'un système obsolète:
- En mettant mes dessins sous licence libre, encourageant ainsi l'épanouissement du partage et des rapports sociaux et culturels « Hors marché ».
- En proposant aux lecteurs qui apprécient mon travail et qui souhaitent m'aider à garder le plus d'indépendance possible vis-à-vis du système marchand, de me soutenir en faisant à leur tour un don via le formulaire sécurisé que l'équipe de D.R.I a eu la gentillesse d'installer sur ce blog (vu que je suis un gros branque en programmation).
(1) Tout ce qui est échanges pair à pair, téléchargements, partage de fichiers, partage de connaissance et d'informations, de découvertes d'oeuvres artistiques pour un maximum de monde.
(2) Il m'arrive en effet de voir un film en streaming gratuitement comme il m'arrive d'acheter un film que j'ai apprécié pour l'avoir vu auparavant en streaming. Quelque chose me dit que je ne dois pas être le seul...
(3) En se servant parfois grassement au passage.
(4) Creative Commons: http://fr.creativecommons.org
Art Libre: http://artlibre.org/licence/lal
Licence IANG: http://iang.info/fr/deed.html
J'en oublie peut-être, n'hésitez pas à compléter la liste
(5) Voir sur le Mécénat Global: www.a-brest.net
http://fr.wikipedia.org/wiki/Mecenat_global
Le site de Francis Muguet, quand celui-ci sera à nouveau en ligne: www.mecenatglobal.org/
- « Culture Libre – comment les médias utilisent la technologie et la loi pour confisquer la culture et contrôler la créativité » – Lawrence Lessig
- « Internet et création – comment reconnaître les échanges sur internet en finançant la création ? » - Philippe Aigrain
- « La Bataille Hadopi » - Collectif d'auteurs
- « Du bon usage de la piraterie » - Florent Latrive
Ce(tte) oeuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Paternité - Partage à l'Identique 3.0 non transposé.
Commentaires
1. Le jeudi 11 février 2010 à 21:57, par franck
2. Le jeudi 11 février 2010 à 22:36, par Fañch
3. Le vendredi 12 février 2010 à 15:54, par Yann le Lorrain
4. Le vendredi 12 février 2010 à 16:08, par Clem
5. Le vendredi 12 février 2010 à 16:39, par Fañch
6. Le mardi 16 février 2010 à 11:01, par dan29000
7. Le mardi 16 février 2010 à 19:43, par Fañch
8. Le mercredi 17 février 2010 à 17:37, par Kristell
9. Le mercredi 17 février 2010 à 18:48, par Fañch
10. Le dimanche 21 février 2010 à 01:42, par Jayric
11. Le lundi 22 février 2010 à 16:49, par David
12. Le mercredi 24 février 2010 à 20:31, par Tan
13. Le vendredi 26 février 2010 à 00:34, par Malgornette
14. Le dimanche 28 mars 2010 à 15:54, par jaipas
15. Le dimanche 28 mars 2010 à 16:06, par Fañch
16. Le lundi 4 avril 2011 à 11:42, par Zombi
17. Le vendredi 17 juin 2011 à 22:17, par stef
18. Le samedi 18 juin 2011 à 01:23, par Fañch
19. Le mercredi 21 décembre 2011 à 09:26, par Béa .....
20. Le mercredi 28 décembre 2011 à 13:20, par L'Eveillée
21. Le mercredi 28 décembre 2011 à 14:59, par Fañch
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