La préfecture pige à «Ouest-France»
Des publireportages maquillés en enquêtes créent le trouble au sein du quotidien breton.

Drôle de moeurs à Ouest-France où une pseudo-enquête a semé le trouble et vient singulièrement écorner la probité du journal. Il s’agit en fait d’une série d’articles publiés entre le 15 octobre et le 19 novembre portant sur « la Bretagne face à ses démons ». A savoir l’alcool (15 octobre), le tabac (22 octobre), le cannabis (5 novembre) et enfin « la fête et ses dérives » (19 novembre). Sur le même sujet
* Le cauchemar des raveurs

Supercherie. Chaque volet a bénéficié d’une demi-page en rubrique « Bretagne » avec témoignages, photos couleurs et abondance de chiffres. Jusque-là, rien à redire. Sauf qu’il s’est avéré que « l’enquête » en question, signée par un collaborateur occasionnel du journal, était tout bonnement une commande de la préfecture de région qui a dûment rétribué la régie publicitaire de Ouest-France Précom pour cette curieuse prestation. Nulle part en effet, dans ces quatre demi-pages qui se présentaient comme un travail journalistique ordinaire ne figurait la mention « publicité » ou « publireportage ». Seul indice de la supercherie : le logo de la préfecture, bizarrement inscrit en bas à droite de chaque sujet et livré au lecteur sans aucune explication.

Les syndicats CFDT et SNJ des journalistes, choqués par une telle confusion des genres, apportent quelques précisions. « Au départ, se trouve la préfecture qui propose cette communication institutionnelle à Précom, écrivent-ils dans un communiqué interne daté du 12 décembre. Précom se tourne vers la rédaction. Un comité de pilotage se met en place. On y trouve le directeur de cabinet de la préfète, le directeur de l’information de Ouest-France, Précom, des experts... Le produit est ensuite maquetté au service publicité puis validé par le directeur de l’information. Un invraisemblable méli-mélo. »

Ligne rouge. Lors du comité d’entreprise du 9 décembre, François-Régis Hutin, le patron du premier quotidien de France, a reconnu que Précom avait touché un chèque de la préfecture, sans en préciser le montant. Ces drôles de pratiques, si elles franchissent cette fois allégrement la ligne blanche, ne dateraient pas d’aujourd’hui. « Sans atteindre un tel degré, vu la masse de suppléments que nous publions, il y a régulièrement des difficultés », explique un journaliste qui, avec d’autres, réclame la rediscussion de « la charte des partenariats » en vigueur au quotidien.

La série « la Bretagne et ses démons », forçant le trait sur les débauches des jeunes Bretons, reflétait en tout cas autant les démons de la préfète Bernadette Malgorn (lire ci-contre), qui a fait de « la lutte contre les addictions » son cheval de bataille, que ceux des Bretons. Ce qui, pour un journal qui se targue de son indépendance, laisse songeur.

« Cette histoire est déplorable dans son principe mais aussi dans une période où la préfète mène une politique répressive vis-à-vis des jeunes et où on a plus que jamais besoin de notre indépendance », estime un journaliste. Pour de plus amples renseignements, le volet sur la tabagie renvoyait au site de l’assurance maladie ­je suis manipulé et on se demande, pour le coup, qui a manipulé qui. Selon les syndicats, une seconde vague de pseudo-enquêtes « politico-publicitaires » est prévue en mars. Maintenant au moins, on est prévenus.

par Pierre-Henri ALLAIN QUOTIDIEN : mardi 20 décembre 2005
Source: Libération