mardi 24 avril 2012
mardi 24 avril 2012
Par Fañch Ar Ruz, mardi 24 avril 2012 à 02:00 :: Comme des porcs ! :: #591 :: rss
La Bête immonde du 21ème siècle
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Deuxième rubrique du deuxième chapitre - La France pays des Veilleuses - p.121
Du brun. Du brun partout, étalé dans toutes ses nuances possibles. Brun brut, brun bleu, brun rouge, brun blanc communion, brun vert ou brun à six branches. On croyait la vieille bête immonde corsetée dans les habits dégueulasses de la caserne frontiste. Voici qu’aujourd’hui elle métastase et pourrit tous les pores de la société, paradant à visage découvert, se drapant dans la puissance étatique, squattant les plateaux de France 2, faisant de « l’humour » et prêchant le politiquement « pas correct », invoquant les Lumières, la République, la laïcité… mais toujours « identitaire ». Pour étrenner ce nouveau siècle, la merde s’est offerte un beau coffret de maquillage, et elle y va à la truelle. Elle ne lésine pas.
Cela n’empêche pas la France de chlinguer sévèrement du derche, de plus en plus. Comment en est-on arrivé là ?
Le 21 avril 2002, la terre s’est mise à trembler violemment sous nos pieds. Le Pen qualifié pour le second tour des élections présidentielles. Le Parti Socialiste congédié. Le Parti Communiste humilié. Chirac intronisé sauveur de la République. Les fachos troublaient notre petite tranquillité d’esprit et notre bonne conscience en émergeant en pleine lumière. Il fallait les rejeter dans l’ombre pour reprendre notre train-train quotidien au plus vite. Ce jour de printemps, un peu moins ensoleillé que les autres, fut considéré comme un accident. On s’agita quelques temps dans la presse et les milieux militants pour tenter de comprendre ce qui nous arrivait, puis l’orage passé, plus rien. Silence radio.
Pourquoi l’abstention avait-elle explosé ? Pourquoi les scores des partis qui menaient depuis plus de quarante ans le bal de la Cinquième République s’étaient-ils effondrés ? Pourquoi la lutte contre le Front National menée dans les années 1990 avait-elle débouché sur cette catastrophe ? Pourquoi l’extrême droite commençait-elle à se sentir à l’aise dans d’autres pays d’Europe ?
Pas question de se faire mal au crâne avec des exercices aussi métaphysiques. Débuter le mois de mai par une communion géante dans la ferveur des valeurs républicaines était jugé amplement suffisant… ou peut-être tout simplement plus rassurant, beaucoup plus, en tout cas que d’admettre qu’avril 2002 tenait plus de l’explosion bubonique qui ravage un pestiféré que d’une averse de grêlons promptement chassée par le beau temps. La pire des choses à faire, en cas de peste, c’est de se gratter les pustules en pensant les faire disparaitre. C’est au contraire le meilleur moyen de se retrouver à très court terme grumelé de boutons dégoulinant de pus. C’est pourtant ce qu’a fait la société française à ce moment là.
Une esquisse de diagnostic lucide se serait pourtant révélée d’une plus grande utilité. à grands traits, elle aurait pu être résumée ainsi : Toutes les organisations politiques se sont endormies sous la couette confortable de la Cinquième République, acceptant de protéger le système en goûtant aux joies du « Coup d’Etat permanent » rejoué en boucle par la monarchie présidentielle. De fait, pour la gauche institutionnalisée, le capitalisme était devenu beaucoup moins condamnable, voir même profitable. Le gouvernement de la gauche plurielle allait largement nous le prouver pendant cinq longues années. Il fallait se dédouaner d’avoir renoncé à lutter contre les injustices économiques et sociales. Pour cela rien de plus facile que d’expliquer aux gens que s’ils vivaient mal, s’était la faute d’ennemis de l’intérieur et de mettre sur le dos de ces prétendues ennemis le chaos qui menaçait notre société. Jacques Chirac ne s’était pas gêné de le faire en 1991, en dénonçant « le bruit et l’odeur » des étrangers. Tout ce que trouva de mieux à faire Jospin dans la dernière ligne droite avant les élections présidentielles de 2002, ce fut d’en faire des caisses sur le thème de la sécurité.
Comment ne pas voir alors, que les deux visages du monstre frontiste correspondaient aux deux plaies purulentes qui infectaient notre système politique économique et social.
La verve antisystème du Front National répondait au consensus des partis traditionnels qui nageaient dans les institutions anti-démocratiques de la Cinquième République comme des poissons dans l’eau. En érigeant le racisme en véritable programme politique, il utilisait un « marche pied » que la droite et une partie de la gauche lui avaient gentiment fabriqué : la stigmatisation de l’immigration comme la source de tous nos maux. Nul doute que l’assassinat du jeune Malik Oussekine ou la rafle des sans papiers dans l’église Saint Bernard saccagée constituèrent un véritable modèle pour les ratonades auxquelles s’adonnaient les petits cerveaux à gros bras lepénistes.
Les lois contre l’immigration promulguées et durcies par tous les gouvernements qui se succédèrent depuis la fin des années 1980 ont, elles aussi, largement ancré le Front National dans l’air du temps. Ajoutons enfin que l’individualisme libéral exacerbé qui fleurissait depuis trente ans était loin d’être incompatible avec la doctrine de la haine de l’autre. Le visage que prit la condamnation du parti d’extrême droite fit le reste. Au lieu de le démasquer comme une émanation et un symptôme de tout ce qui était pourri dans nos rapports sociaux, on porta la bataille sur le plan uniquement affectif et moral. On dénonça le FN comme un corps étranger à notre belle et immaculée République.
Si nous nous étions donnés la peine de mener une enquête approfondie, nous aurions pourtant remarqué que les traces de pneus qui ornaient la culotte de Marianne étaient exactement de la même que couleur que la grosse crotte frontiste. Mais en ce printemps de 2002, les politiciens qui se parfumaient à l’eau de rose républicaine sur les plateaux de télé et les millions de manifestants qui scandaient « on n’a pas la merde au cul !» rendirent l’investigation impossible.
La nouvelle irruption bubonique ne se fit pas attendre. à partir de 2002, elle contamina avec une force et une vélocité effrayante les pratiques et les discours gouvernementaux. L’UMP au pouvoir se mit sans la moindre honte à s’abreuver à la fontaine frontiste, officiellement, sous prétexte de l’assécher. On assista alors à un phénomène de vase communiquant. Plus le FN semblait s’affaiblir, plus la droite majoritaire et son gouvernement brunissaient. D’ailleurs, avec Nicolas Sarkozy, le nouveau leadership de l’UMP tenait plus de Pétain que de l’esprit gaullien. à la fois maton, flic et kapo, l’ancien maire de Neuilly profita de son déguisement de ministre de l’intérieur puis de son accoutrement de chef de l’État français pour façonner le nouveau visage du pouvoir.
La France devait vivre en sécurité. Ce qui voulait dire en jargon sarkozyste, qu’il fallait séparer le bon grain des gens qui se lèvent tôt et travaillent dur, de la vermine qui parasite notre société et profite des efforts des autres : les chômeurs, les immigrés, les jeunes des quartiers populaires.
En huit ans, il s’appliqua à mettre la population en cage en donnant aux flics de nouveaux pouvoirs d’inquisitions, en criminalisant le simple regroupement de personnes dans les rues, en fixant une camera de surveillance derrière le cul de chaque pauvre et de chaque métèque, en traquant les putes tout en foutant une paix royale aux esclavagistes qui les jettent sur les trottoirs.
La justice louchait déjà pas mal. L’UMP lui creva les deux yeux et les donna à bouffer à ses chiens Perben et Dati. Remise en cause de la séparation des pouvoirs, peine plancher pour les récidivistes, mise en place de centres fermés de dressage pour les mineurs, criminalisation des gosses dès l’âge de 10 ans, transformation du maire en véritable shérif chargé de tancer les « mauvais parents » menacés de perdre leurs allocations familiales, jugements expéditifs, durcissement des procédures de garde à vue, multiplication des détentions provisoires, création de 13 000 places de prison supplémentaires, flicage des journalistes, invention de nouveaux délits à la pelle. Le dernier en date ? L’outrage au drapeau français. Voilà qui devrait faire frétiller Ségolène Royal et son sens de « l’Ordre juste ». La justice de l’UMP, c’est celle du dressage comportemental. L’ordre doit imprégner les corps, les discours, les manières d’être et de se mouvoir. Le mal se cache désormais dans les gènes. Les fœtus d’aujourd’hui sont les grands délinquants de demain. Avis aux gamins de trois ans qui ont un peu trop tendance à tirer les cheveux de leurs petites copines ou à faire des colères. Faites gaffe les mioches ! La crèche fermée et électrifiée vous attend au tournant !
En toute logique sarkozyste, la noirceur génétique se réfléchit sur la pigmentation de la peau. Faire la chasse à l’étranger relève donc de l’entreprise de purification nationale. Dès 2002, le ton était donné. Le droit d’asile fut balancé aux orties. La double peine maintenue et alourdie. On augmenta le délai de détention provisoire des sans-papiers de 12 à 32 jours, pour avoir le temps de les expulser tranquillement.
En 2006, la carte de séjour de 10 ans fut supprimée. Un an plus tard, les candidats au regroupement familial furent soumis à des tests ADN. Sarkozy est décidément fan de biologie. Ce ne serait pas étonnant de trouver un bouquin de Gobineau sur sa table de chevet. Tout un attirail fut bricolé pour empêcher les régularisations, gêner les naturalisations et faciliter les expulsions. Les mariages mixtes devinrent suspects, obtenir un titre de séjour s’apparenta à un véritable parcours du combattant. Il s’agissait de faire de l’étranger un irrégulier à perpétuité. Avec la loi « Ceseda ». L’immigration fut dénoncée ouvertement comme un problème puisqu’elle était « subie ». Si elle n’était pas utile économiquement, elle n’avait pas lieu d’être.
Après avoir légiféré, il fallait passer aux actes, histoire que les étrangers ne croient pas que toutes ces belles lois avaient été écrites pour les chiens.
A peine intronisé Président de la République, Sarkozy sonna le cor de chasse. La chasse à l’homme était ouverte. Les molosses qui faisaient course en tête, Eric Besson et Hortefeux, devaient faire le plein de gibier pour l’Elysée. Objectif 25 000 reconduites à la frontière par an.
Pour faire un carton, il s’agissait de sortir les grands moyens et de mettre la flicaille sur la brèche. La consigne était simple : « Tout ce qui est noir, basané ou crépu et qui sait marcher, vous le chopez ! ». Une vraie consigne de flic. Simple, pas de nuance, pas de sentiment. « Et pour les bébés, on fait quoi ? » « Euh…merde, Robert tu me poses une colle. Faut que j’demande au préfet… ». Les bonnes vieilles méthodes de Vichy furent reprises. Guet- apens à la sortie du métro, dans les préfectures. Rafles de mômes dans les écoles. Destructions des camps de roms…
N’allez pas croire que tout cela n’était qu’un fatras juridique et policier sans âme. Il y avait un principe supérieur qui donnait de l’éclat à l’ensemble: « l’Identité Nationale ». Sous la conduite éclairée du ministère de « l’Immigration et de l’Identité Nationale », la grande Nation française devait redéfinir son identité pour faire face à l’avenir. Eric Besson supervisa une série de débats dans un lieu dédié entièrement à la réflexion intellectuelle : la préfecture. Il n’y eut que du beau monde pour discuter de ce sujet vital : des vieux, des militants FN (souvent les mêmes d’ailleurs), des vieux, des militants UMP (souvent les mêmes d’ailleurs). Après une longue et passionnante délibération, la définition du français parfait tomba enfin : le français est blanc, chrétien. C’est un homme et il est vieux. La question de savoir s’il possédait sa carte au FN ou à l’UMP était un point de discorde. Un terrain d’entente fut vite trouvé : un bon français pouvait avoir les deux.
En fin de compte, le pouvoir de droite œuvre depuis plus de huit ans à l’application du programme frontiste. En 2004, le philosophe libertaire Miguel Benasayag estimait que sur les 24 propositions judiciaires du Front National, le gouvernement de l’époque en avait déjà appliqué 11. Beaucoup de chemin a été parcouru depuis. Si l’État et son grand parti mettent autant de zèle à se couler dans l’uniforme lepéniste, c’est qu’ils n’y voient que des avantages : maintenir la population dans la peur, criminaliser toute protestation, couvrir leur politique de casse sociale et continuer de faire plaisir au MEDEF. En outre, les politiques coercitives et xénophobes s’avèrent être très bonnes pour les affaires. Un sans papier dépouillé de tout droit est exploitable à merci. Le tout sécuritaire ouvre des marchés juteux. Il y a des prisons à construire, des milliers de caméras de vidéosurveillances à installer, des « Tasers » et des « Flashs Ball » à écouler. Surtout, il ne faut pas que ça change !
Mais Sarkozy et sa clique ont joué avec le feu. Ils pensaient sans doute pouvoir tenir la bête immonde en laisse pour qu’elle veille sagement sur leur pouvoir de classe. Ils ont ouvert la boite de Pandore. Le monstre batifole en toute liberté, s’empressant d’abord de retrouver son maitre légitime pour lui faire des grosses léchouilles. Le sarkozysme devait être l’acte de décès du Front National. Force est de constater que la vieille maison des fachos, après une petite période de latence, se porte plutôt bien. Sarkozy lui a montré la voie de la modernité et de la respectabilité. Il a parachevé la mue de l’institution républicaine pour la rendre totalement compatible avec le fascisme.
Terminées les sorties fracassantes sur les camps de concentration ou les jeux de mot douteux. Le FN va se recueillir sur l’honorable champ de bataille de Valmy. Il est maintenant républicain. Pas besoin de changer une seule ligne d’un programme nauséabond pour le dire.
Finies la larme à l’œil en contemplant les photos du maréchal Pétain ou le tendre regret des années folles de l’occupation nazie. Le FN est maintenant du côté de la résistance. Il appelle à combattre l’occupation de notre beau pays par les « arabo-musulmans ». Vous n’avez pas remarqué, tous ces Panzer d’Al-Qaïda défilant fièrement sur les Champs Elysées ?
Oubliée la vieille extrême droite de papa, patriarcale et misogyne. Le Front National porte désormais le visage d’une femme moderne qui fait des brushings : Marine Le Pen. Elle pose une question qui fait bien chier l’UMP et qui risque de nous faire très mal au cul en 2012 : « Les idées du Front National sont au pouvoir. Pourquoi pas lui ? »
Pour susciter la peur de l’étranger, la droite lui donna le visage menaçant de « l’arabo-musulman » : ce barbare polygame qui veut recouvrir les femmes de grandes cages noires après les avoir excisées à la petite cuillère, qui déteste la démocratie et rêve de soumettre la France entière à sa religion. Il fallait défendre notre identité contre celle de « l’Autre ». Le bien et le mal, l’ami et l’ennemi, tout devait passer sous les fourches caudines de la classification identitaire qui ne supportait aucune nuance. Même la laïcité - qui avait été en 1905 une réponse audacieuse pour séparer le politique du religieux et pour permettre que chacun, avec ses spécificités, puisse profiter d’un seul et unique espace public - prit un aspect négatif et identitaire. On l’invoqua en 2003 pour combattre le port du voile et à nouveau en 2009 pour dénoncer le port de la burqa, toujours pour stigmatiser la population arabo-musulmane.
Au même moment, Sarkozy, parce qu’il avait besoin d’identités bien trempées pour continuer à faire régner un climat de peur et de suspicion généralisées, renforça les tendances les plus réactionnaires de l’Islam en leur offrant une place de choix dans son nouveau jouet : le Conseil français du culte musulman.
Ayant beaucoup appris auprès du locataire de l’élysée, la Bête immonde s’est mise à faire des petits un peu partout. L’islamophobie se répandit comme une traînée de poudre. En l’absence de toute perspective d’émancipation politique et sociale, dans un contexte ou l’universalisme et l’internationalisme étaient en berne, la colère et la frustration trouvèrent du réconfort dans l’identité. Chacun la sienne contre celle des autres. Chacun ses valeurs, plus légitimes que celles d’à-côté. Chacun ses souffrances, plus authentiques et douloureuses que celles d’en face. Le brun redevient furieusement à la mode. Chacun l’assortit de son petit accessoire personnel. Zemmour l’enveloppe dans ses sorties nationalistes, misogynes et racistes « politiquement incorrectes » avec l’absolution du rire idiot de ce grand con de Ruquier. Dieudonné se jette dans le bras de Le Pen et de Faurisson et pense rendre service aux palestiniens en voyant des sionistes partout comme d’autres débusquent des antisémites à tous les coins de rue. Enfin, des gens soi-disant de gauche, comme les tristes guignols de « Riposte Laïque » brandissent l’étendard de la laïcité pour mieux faire passer leur islamophobie, s’acoquinent avec les fachos du Bloc Identitaire et portent leurs espoirs vers Marine Le Pen. On pourrait aussi parler du CRIF, qui dès 2002 trouvait des mérites au papa de Marine parce qu’ils avaient un ennemi commun… toujours « l’arabo-musulman ».
Du brun… du brun partout. Il semble de plus en plus difficile d’aller au-delà d’une kipa, d’une barbe, d’un voile ou d’une peau sombre pour tout simplement reconnaître un homme, une femme, un être humain avec sa biographie toujours complexe, contradictoire, spécifique, en devenir. Il parait au-delà de nos force de reconnaître que les seules différences dégueulasses, ce sont celles qui font de certains des oppresseurs, des dominateurs ou des exploiteurs et de beaucoup d’autres des dominés, des opprimés et des exploités.
Mais je commence à être un peu barbouillé. Je crois qu’il est temps de vous laisser. Je vais aller gerber sur un drapeau français.
Texte : Munin
Dessins : Fañch Ar Ruz
Sous licence creative commons BY-NC-ND
Commentaires
1. Le mercredi 25 avril 2012 à 00:53, par Bardamor
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