vendredi 26 octobre 2012
vendredi 26 octobre 2012
Par Fañch Ar Ruz, vendredi 26 octobre 2012 à 13:09 :: Comme des porcs ! :: #612 :: rss
C'est la turlutte finale !
6ème rubrique du deuxième chapitre - La France pays des Veilleuses - p.181
Vous vous souvenez peut-être. Cette petite flamme d’espoir qui tremblotait fragilement dans les ténèbres de ce mois d’avril 2002. Nous étions plus d’un à tenter de nous requinquer comme nous pouvions entre le dégout de devoir se farcir la tronche de Le Pen au second tour et la honte grandissante devant la triste perspective d’avoir à plébisciter Chirac pour « sauver la République du fascisme ». Certains se sont noyés dans l’alcool, d’autres ont tenté d’apprivoiser le mal par le mal en hurlant à longueur de manifestations un désespéré et désespérant « j’ai mal à la France ! ». Une minorité enfin (dont les auteurs de ce bouquin font partie), tout en ne dédaignant pas le réconfort de la bibine, avait les yeux rivés sur l’extrême gauche.
Il y avait quelque chose d’un peu pathétique et d’un tantinet lourdingue dans notre manière de faire de l’arithmétique magique. « Besancenot 4,25%, Arlette 5,76%, Gluckstein 0,47%... putain la vache, ça fais presque 11% ! » Et nous n’avions pas peur de pousser La méthode Coué jusqu’au bout. « Si on ajoute Les scores de Noël Mamère et de Robert Hue ça monte à 19% ! Avec un candidat unique, la gauche radicale pourrait être au second tour ! ». Que nous étions touchants à nous agripper à la frustre et austère radicalité de Laguiller et encore plus fort à la jeunesse de Besancenot, nouveau représentant d’une gauche radicale que nous voulions percevoir de toutes nos forces capable de se remettre en question, dépoussiérée, dynamique, ouverte à tous les combats.
« Même le plus noir des nuages a toujours sa frange d’or », chantent les scouts. La volonté intacte de changer radicalement la société, la remise en question de toutes les poussiéreuses certitudes, le désir de dépasser les divisions obsolètes représentaient les trois minces filets d’or qui tissaient nos maigres espoirs. Ils nous aidaient à maintenir le cap au moment où le parti communiste se liquéfiait d’avoir trop fait la pute pour un PS qui se complaisait dans la défaite et dans le libéralisme comme un porc se roule dans sa propre merde. Nous estimions que la gauche radicale pouvait être le creuset de ce nouveau départ. Après presque dix ans de tentatives avortées et de fausses innovations, force est de constater que nous nous sommes lamentablement trompés.
Il fallait quelque chose de nouveau. Après 2002, beaucoup de gens qui cherchaient leur route à gauche du PS en étaient persuadés. Il n’est pas difficile de reconstituer une véritable chaine de l’évolution des tentatives foireuses de faire du neuf. Ce fut tout d’abord « L’ère des appels et des réseaux » : « Pour une gauche de gauche qui n’a pas honte d’être plus à gauche que ceux qui sont moins à gauche. Si vous voulez débattre de l’avenir de la gauche sans avoir peur d’être à gauche, rejoignez nous ! ». Des tentatives de ce style avec les mêmes mots placés dans des ordres différents, il y en eu des tonnes. Elles se sont toutes enlisées dans des débats byzantins.
2005 et la bataille contre le Traité Constitutionnel Européen ont vu émerger « L’ère des collectifs ». Partout en France des gens ordinaires et des militants de toutes les organisations de gauche, d’Alternative Libertaire à la gauche du PS, se regroupèrent pour rejeter ce projet nocif. On s’appropria et on disséqua le texte pour mieux comprendre les enjeux et aiguiser des arguments. On inventa milles et unes initiatives pour faire basculer un rapport de force loin d’être favorable au départ. Ce fut une belle invention politique avec une grande victoire à la clef, puis un beau gâchis lorsque les collectifs partirent à la recherche du candidat unitaire de la gauche antilibérale pour les présidentielles de 2007. D’outil et de laboratoire politique au service des citoyens, ils furent transformés en machine électoraliste instrumentalisée par les partis politiques. Ils reproduisirent ainsi fatalement les pires travers de ces derniers.
L’élection de Nicolas Sarkozy inaugura l’ère des « faux nouveaux partis ». Cette idée de créer une nouvelle organisation révolutionnaire, ou du moins radicale, venait de loin. Elle s’enracinait dans le désir de voir émerger une alternative au PC stalinien et aux nains trotskistes un brin sectaires. Elle fit de nouveau surface pendant le mouvement social de 1995 dont tout le monde salua la puissance tout en regrettant une absence complète de débouché politique. Le naufrage total de la gauche radicale en 2007 relança le vieux projet. Inutile de s’attarder sur ceux qui se contentèrent de coller un nouvel autocollant sur leur vieille carlingue ou de quitter une grosse machine avec quelques potes bien placés dans les hautes sphères institutionnelles pour lancer leur écurie perso : les « POI » et autres « Parti de Gauche » qui pensèrent qu’il suffisait d’organiser un spot de publicité en présence de la presse pour apparaitre au top de l’originalité politique et de l’invention démocratique.
Plus séduisant fut le projet du Nouveau Parti Anticapitaliste portée par la Ligue Communiste Révolutionnaire. L’organisation acceptait de se dissoudre pour construire un nouveau parti, avec tous ceux qui voulait en jouer, quelques soient leurs différences de culture politique. Sous condition de partager la conviction qu’il existait une vie après le capitalisme, d’accorder une grande importance aux luttes sociales et de vouloir farouchement garder ses distances par rapport au PS, tout était déclaré ouvert et discutable. Le début de l’aventure rassembla en effet à un conte de fée prolétarien. Libertaires, militants de la Ligue, altermondialistes, écolo radicaux, syndicalistes en manque de perspectives, anciens du PC, nouveaux venus en politique et mêmes quelque socialistes qui s’étaient paumés et avaient vu de la lumière, se rejoignirent dans des comités de base pour construire ensemble cette nouvelle organisation politique et la doter d’un projet ambitieux. Les comités devaient-être le creuset de notre pouvoir collectif. Nous ne voulions aucune entrave à notre inventivité démocratique, ni à notre créativité politique. Pour beaucoup, le NPA représentait l’occasion de reprendre la main, d’exister aujourd’hui et de choisir « un autre demain ». Hélas le conte de fée prolétarien dégénéra bien vite en fable orwellienne. La fin de la récré fut sifflée sans ménagement. Ceux-là même qui nous avaient exhorté à « prendre parti » nous le confisquèrent sans état d’âme… et même avec une bonne dose d’hypocrisie et de culot.
Au commencement, la reprise en main d’effectua par petites touches, à la manière du mouvement de pinceau d’un peintre impressionniste sur sa toile encore vierge. « Vous voulez décider ensemble et en avoir les moyens ? Attention, nous devons être efficaces ! » Efficace pour quoi ? Cette question était toujours soigneusement esquivée. A ceux qui insistaient pour que le parti soit le bien commun de tous ses membres, les militants de la Ligue objectaient qu’il fallait former des cadres. Des militants donc, mais un peu plus égaux que les autres. « Vous souhaitez vous poser toutes les questions, tout mettre à plat, construire vous-même un nouveau projet politique pour changer la société ? Soyons vigilant ! Il faut rester humble ! » Décodage : « eh, les enfants ne vous enflammez pas, n’essayez pas trop de penser par vous-mêmes, de jouer les théoriciens. On va vous apprendre, nous qui savons, nous les vieux routards, nous… les dirigeants da la L.C.R. ».
Avec les doutes grandissants des uns et des autres, et l’approche du congrès de fondation, les coups de pinceaux se firent plus fermes. Les mises en garde devinrent des oukases. De l’impressionnisme, on sauta sans transition dans le constructivisme le plus rigide. Le projet politique originel n’était plus seulement flouté. Il était maltraité, contorsionné dans tous les sens, méconnaissable. Les vieux de la vieilles du Bureau Politique de la LCR déballèrent enfin les nombreuses cordent qu’ils avaient à leur arc :
- La magie où l’art de résumer un débat sur la démocratie en affirmant exactement le contraire de ce qui s’est dit : « On est pas contents ! » « C’est vrai, les comités doivent décider ensemble ! » « Ouais! Nous ne voulons pas d’une direction qui nous impose des choix ! » « Pourquoi tout le Bureau Politique de Ligue se retrouve-il dans la coordination nationale provisoire ? C’est quoi ce bordel ? » Synthèse du président de séance, digne du magicien Gérard Majax : « Abracadabra…bon ben je crois qu’on est tous d’accord. On a besoin d’une Direction Nationale Provisoire forte, il faut structurer, c’est ça la démocratie ».
- Le camouflage et le langage des signes : Pendant ce temps là, Alain Krivine, retraité toujours très actif, qui avait adopté la même coupe que Mamie Nova pour passer incognito, restait tapi dans l’ombre et envoyait régulièrement quelques signaux discrets à Gérard Majax pour l’aider à ne pas rater son petit tour de passe-passe.
- La mauvaise foi : « Mais, camarades, si nous limitons la durée du mandat de la Direction Nationale à deux mandats non renouvelables, le Parti sera dangereusement instable » ! Etrangement, lorsque dans son Manifeste Politique, la Ligue proposait de réduire à 2 le nombre de mandat possible pour un député, elle n’avait pas peur de fragiliser la vie politique.
Ce qui serait souhaitable pour l’émancipation de la société serait-il nocif pour l’organisation qui travaille à la libérer ?
- L’art de prendre les gens pour des cons : « Pourquoi socialisme du 21éme siècle ? C’est débile comme terme ! Pourquoi pas communisme ? » Réponse : « Parce que communisme ça fait peur aux gens ! ». « Bon… ok… et pourquoi il nous faut une Direction ? Est-ce qu’on ne peut pas réfléchir à d’autres formes de représentation nationale ? » Réponse : « Parce qu’on est dans un fonctionnement politique centralisé, donc on n’a pas le choix.» Bonjour la science des contradictions ! Imaginez Karl Marx qui vous dit : « Nous sommes dans un système capitaliste… donc on n’a pas le choix ! ».
- L’hypnose, devant les doutes et les critiques : « Mais faites-nous confiance ! »
- Et enfin, la culpabilisation, lorsque les autres combines ont foiré : « C’est inadmissible toutes ces critiques, n’oubliez pas que nous avons dissout notre parti pour vous… quand même ! ».
On pourrait arguer que tout cela fut conscient, releva de la manipulation et du machiavélisme. C’est sans doute vrai pour une part mais ça n’explique pas l’essentiel. La sincérité des camarades de la LCR n’est (presque) pas à remettre en cause. Mais il est plus que possible qu’ils aient été victimes d’un lapsus, et que « nouveau » soit sorti de leurs bouches à la place d’ « ancien ». Il est évident qu’ils pensent en réalité que leurs cadres d’actions et leurs conceptions politiques sont valables et n’ont aucunement besoin d’être bouleversés. Ils devraient tout au plus être rénovés et popularisés pour que le plus grand nombre puisse enfin les adopter. Pour eux, il est tout simplement inconcevable que leurs choix historiques portent en partie la responsabilité de l’échec du mouvement ouvrier du 20ème siècle. à leurs sens, s’il y a eu échec, c’est au contraire parce que leurs options sont restées minoritaires, principalement à cause de la toute puissance l’horrible pieuvre stalinienne. Avec la disparition progressive de ce méchant monstre, le tir pourrait être rectifié et l’hégémonie politique serait enfin à portée de main.
Parce qu’ils ont le sentiment qu’elles n’ont pas été invalidées par l’Histoire, les militants de la LCR (et maintenant du NPA) restent prisonniers des vieilles conceptions politiques du siècle dernier. Deux d’entres elles sont particulièrement redoutables car elles permettent au capitalisme d’avoir encore de beaux jours devant lui. La première consiste à traiter le peuple comme un grand enfant incapable de penser et d’agir par lui-même.En conséquence, l’organisation politique, dirigée par ceux qui savent, clairvoyants et expérimentés, a pour but d’éduquer ce peuple, de lui montrer la « voie juste ».Et il est alors inconcevable d’envisager l’organisation politique comme ce qu’elle devrait-être : l’outil dont se dote librement le peuple pour s’organiser, élaborer ses propres façons d’agir, se fixer ses propres objectifs politiques. Le second anachronisme concerne la conception même du changement de société. La transformation politique révolutionnaire ne serait possible uniquement lorsque les conditions objectives seraient considérées comme réunies. C’est-à-dire au moment où les masses se soulèveront comme un seul homme et où le pouvoir d’Etat tombera comme un fruit trop mûr entre les mains du « Grand Parti des Travailleurs ». Il n’y aurait aucun levier dans le réel pour enclencher dès maintenant de grands changements radicaux. Il serait impossible de commencer à se réapproprier dès maintenant, par nos activités politiques, tous les pouvoirs confisqués par la classe dominante. Etrangement subjective est cette vision « des conditions objectives » qui se conjugue toujours au futur et prive la réalité immédiate de toute potentialité subversive.
En attendant le grand cataclysme on devrait se contenter de respecter servilement les conditions objectives, c’est-à-dire le règne du capitalisme, en proposant des mesurettes ne changeant rien du tout mais ayant pour fonction d’amener un peuple un peu stupide à prendre conscience de l’ampleur du changement qu’il faudra un beau jour accomplir.Ces deux manières de voir mènent tout droit à la castration politique. Elles rendent impossible tout développement d’une activité révolutionnaire et émancipatrice car celle-ci ne peut s’appuyer sur aucun acteur politique (le peuple n’est pas prêt !) ni sur aucun matériau tangible (dans la réalité, il n’existe aujourd’hui aucun levier de changement radical !). Ne reste alors au NPA comme au reste de la gauche radicale que la possibilité de courir sans repos après la réalité à défaut de pouvoir la comprendre pour la transformer. On sombre dans le volontarisme politique en « étant dans les luttes », on fait du « super syndicalisme », et on ronge le seul os qu’il reste : l’électoralisme.Si les nouveaux anticapitalistes sont pour l’instant indépendants du Parti socialiste, ils le sont visiblement beaucoup moins vis-à-vis du calendrier électoral.
Face à une gauche radicale qui radote et qui bégaie, nous, qui souhaitons être maîtres de nos destins pour changer radicalement la société, n’avons que deux alternatives : sombrer dans la déprime, la dope et la picole ou bien nous rassembler pour fixer nous-mêmes les règles de notre libre association politique et ne laisser personne d’autre décider à notre place des termes de la promesse que nous devons nous faire à nous-mêmes et au monde. Car en définitive, se tromper n’est pas si grave. Ce serait de continuer à se fourvoyer qui serait impardonnable.
Texte : Munin
Dessins : Fañch Ar Ruz
Sous licence creative commons BY-NC-ND
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