La croyance dans le Grand soir remplace le paradis des chrétiens, un paradis qui absout par avance ses fervents supporters. L’appartenance au « Parti » joue souvent le rôle de béquille psychique pour les gens qui boîtent du cerveau. On recherchera dans l’univers sécurisé et normatif de l’organisation politique un palliatif à la maman absente, à l’amitié ou à l’amour qu’on est infoutu de trouver ailleurs. Or, le communisme ne peut être révolutionnaire, dérangeant, effrayant, que s’il ronge le réel à la manière d’un acide ultra-critique, s’il trouve les voies pour être « le mouvement réel qui dépasse l’état actuel des choses », pour reprendre les mots de Marx.
Quelles que soient leurs motivations, ceux qui en usent comme d’un vernis conventionnel sont les pires fossoyeurs de cette énergie subversive. Mais laissons tous ces névrosés patauger dans leur petite mare de caca personnel.

Vous l’aurez sans doute compris, les auteurs de ce bouquin ont la prétention d’appartenir à la catégorie des « communistes conséquents ». D’ailleurs, si ce livre vous interpelle, c’est peut-être que vous aussi, vous en êtes… même s’il ne vous était jamais venu à l’esprit de vous coller ce genre de label sur le gras du cul. Pourtant, même « le communiste conséquent », ne peut embrasser tous les aspects du réel. Il ne possède pas de superpouvoirs. Il ne fait malheureusement pas partie du club très « select » des « X-Men ». Il n’est ni omniscient, ni omnipotent. Ses engagements, même s’ils prétendent être rationnels et atteindre l’universel, sont pétris de subjectivité, façonnés par son histoire personnelle et orientés par ses affects, par ce qui le touche ou le laisse froid. Ils se cristallisent au gré de rencontres avec des causes particulières qui libèrent l’empathie, avec des individus qui accrochent la lumière d’une façon particulière, avec des lectures qui emportent, stimulent ou font douter.
Un engagement, même aussi totalisant que le communisme, s’incarne toujours dans une vie concrète, de chair, de sang, d’émotions, de choix et de contraintes. C’est une aventure vécue au ras du sol.

Depuis le début de votre lecture, vous vous baladez sur les sentiers de dix ans d’engagements, de colères, de frustrations, de doutes, de tâtonnements, qui ont tordu les entrailles des auteurs de ce bouquin. Chacun de nous deux a débroussaillé sa propre piste. Mais nos routes ont fini par se croiser, pour se mélanger et se fondre en un chemin plus vaste, plus râpeux, à la fois concordant et dissonant. Les ruades et les coups de poings dans la gueule distribués si généreusement au fil de toutes ces pages sont les répliques sismiques des combats que nous avons partagé et parfois livré ensemble au cours des années 2000, même si chacun de nous a toujours gardé sa manière bien particulière de mollarder.
D’autres échos du monde ont chatouillé nos oreilles, d’autres saloperies nous ont mis en rogne, mais, omnibulés par les bastons qui nous ont happé, nous n’avons pas pu foncer la tête la première dans l’œil du cyclone de ces autres empoignades, non moins cruciales. Il aurait été hypocrite de notre part d’écrire des tartines et de pondre 150 dessins sur ces sujets à peine déflorés. Mais nous avons tenu, en esquissant ce petit tour d’horizon « des rubriques auxquelles vous avez (presque) échappé », à rendre hommage à ces pans de la réalité qui auraient pu nous absorber.

Une dernière chose : ne vous étonnez pas si au fil de votre lecture, ça part en sucette. Les deux camarades qui ont pondu ce livre ont toujours refait le monde cernés par une armée de bouteilles plus menaçantes et redoutables les unes que les autres. Alors, tentons une expérience. Fermez les yeux…détendez vous. Il fait nuit. Vous êtes bien. Votre verre se remplit sans discontinuer, comme par enchantement. Les meubles vous sourient. La conversation n’a aucun sens… mais vous êtes persuadé de dire des choses cruciales pour l’avenir de l’humanité. à votre réveil… un pivert dans la tête… vous constatez que le capitalisme n’a pas été renversé pendant la nuit… dommage. Il faudra recommencer.

Texte : Munin
Dessins : Fañch Ar Ruz
Sous licence creative commons BY-NC-ND